Cyber-harcèlement: condamnable dès 10 ans

  • Le harcèlement sur les réseaux sociaux est la forme de violence scolaire la plus répandue.
  • C’est ce qu’affirme le Département de l’instruction publique (DIP), qui a mis en place un plan de mesures pour lutter contre ce fléau, dès la primaire.
  • Ce d’autant que les enfants sont pénalement responsables et risquent des peines allant de l’amende au travail d’intérêt général. Notre dossier.

  • Les enfants et adolescents victimes de cyber-harcèlement souffrent de de troubles anxieux  et de dépression, pouvant parfois mener au suicide. 123RF

    Les enfants et adolescents victimes de cyber-harcèlement souffrent de de troubles anxieux et de dépression, pouvant parfois mener au suicide. 123RF

«Les établissements scolaires devraient se doter de médiateurs dûment formés aux nouvelles technologies»

Sébastien Fanti, avocat expert en droit des nouvelles technologies

Un groupe de haine créé sur les réseaux sociaux pour distiller des remarques blessantes? Léa, une jeune écolière d’une douzaine d’années a été, des semaines durant, la cible silencieuse de cyber-harcèlement. Cette forme de violence, qui s’exerce virtuellement, couvre un large spectre allant de la diffusion de fausses informations ou de rumeurs infondées, aux menaces et au chantage. Sans oublier la mise en ligne de photos dénudées ou à caractère pornographique.

Prévention active

Et souvent, les auteurs, qui agissent sous le couvert d’anonymat, font partie des connaissances de la victime. Mais la plupart des familles, sensibilisées par les messages de prévention relayés au sein de l’école, savent-elles que la responsabilité de leurs enfants s’exerce dès l’âge de 10 ans? Pas sûr. Pourtant, depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2007, de nombreux enfants ont été poursuivis pour de tels actes.

Si le nombre de procédures n’est pas connu, l’avocat expert en droit des nouvelles technologies, Sébastien Fanti, affirme être régulièrement mandaté par des familles dont les enfants sont les auteurs ou les victimes de cette forme insidieuse de violence. Traduits devant le Tribunal des mineurs, les jeunes gens encourent des peines allant de l’amende au travail d’intérêt général (TIG) en passant par la réprimande ou le placement.

Des sanctions que Me Fanti juge inadaptées. «Dans la majorité des cas, les cyber-harceleurs ne comprennent pas la gravité de leur faute. Et la sanction n’est pas de nature à leur faire prendre conscience que cette forme silencieuse d’agression peut générer chez leur victime de graves désordres psychologiques pouvant conduire au suicide.»

L’homme de loi se déclare favorable à une prévention active plutôt qu’une action judiciaire. «Les établissements scolaires devraient se doter de médiateurs dûment formés aux nouvelles technologies et qui seraient en quelque sorte des référents de confiance pour les écoliers. Car aujourd’hui les parents ne sont pas tous en mesure d’exercer cette compétence.» Le spécialiste suggère en outre que les harceleurs soient confrontés aux récits de leurs victimes et des souffrances endurées.

Cellule d’intervention

Du côté du Département de l’instruction publique (DIP) Michael Roy, chargé d’information et communication, relève: «Il n’existe pas actuellement de statistiques standardisées sur le nombre de situations de cyber-harcèlement au sein des établissements scolaires. Des travaux sont en cours pour améliorer l’analyse de ce phénomène qui figure en tête du classement des agressions scolaires. Mais les autorités scolaires genevoises, qui ont initié depuis 2012 déjà un plan de prévention orienté surtout sur le personnel, vont poursuivre leurs actions en 2021.»

Ainsi, cette année, 98% des établissements du canton (du primaire au secondaire II) auront pu bénéficier d’une formation sur la définition, les enjeux du repérage et le protocole type du DIP. Ce qui leur permet de prendre les mesures nécessaires. «Selon les données à disposition, environ 60 à 70% des établissements primaires ont un groupe prévention ou un groupe combiné prévention/cellule d’intervention fonctionnel», affirme encore Michael Roy. La communication sur le programme de lutte et de prévention du cyber-harcèlement est diffusée auprès des parents et des élèves et une information figure dans le carnet de l’élève lu et signé par les parents des élèves.

Formation

Depuis 2018, le personnel enseignant et autres intervenants dans le cadre scolaire bénéficient en outre d’une formation qui cible principalement les auteurs et témoins, voire complices. Son objectif : développer la prise de conscience individuelle des faits et l’empathie envers la victime.

Pourquoi 10 ans?

Dans son mémoire, Anne-Cécile Fauquex-Moret, de l’Institut universitaire valaisan Kurt Bösch, a élaboré quelques pistes qui ont conduit le législateur à adopter le seuil de minorité pénale à 10 ans, parmi les plus bas d’Europe. «L’avant-projet soumis en consultation prévoyait un seuil plus élevé (12 ans). Le Conseil fédéral ne l’a pourtant pas retenu et le parlement s’est accordé sur l’âge actuel. Et ce notamment parce que la conscience de la faute était favorisée par une intervention précoce. La pression pénale avait un effet éducatif sur la jeune population qui avait acquis le sens du bien et du mal. L’âge de 10 ans marquait en effet l’entrée dans la puberté et était adapté», relève l’universitaire.

Trois enfants par classe

Sur son site, Stop suicide fait état des chiffres suivants: «En Suisse, environ trois enfants par classe en moyenne sont exposés au harcèlement scolaire. Les statistiques montrent que ce phénomène est en augmentation ces dernières années.» Ce fléau, affirme l’association, impacte fortement la santé mentale et physique des victimes, à court et à long terme. Il peut entraîner de la dépression, des troubles anxieux voire même le suicide. La violence subie durant l’enfance et l’adolescence augmente également le risque suicidaire durant la vie. «Or, avec la surconnexion des jeunes aux réseaux sociaux, le harcèlement peut devenir viral car il ne se limite plus à la sphère scolaire.»