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Une forte odeur d’urine vous pique le nez dès que vous entrez dans l’appartement. A l’intérieur, des dizaines d’animaux livrés à eux-mêmes et affamés. La Société de protection des animaux (SPA) est habituée à ce genre de scènes. Chaque année, dans les cantons de Genève et Vaud, huit ou neuf cas sont signalés, souvent par des voisins incommodés. Les psychiatres parlent de «syndrome de Noé», en référence au personnage biblique qui a construit une arche pour sauver du déluge deux spécimens de chaque espèce animale.
Chats, chiens, lapins, rongeurs, reptiles et oiseaux: les personnes qui souffrent de ce syndrome accumulent toutes sortes d’animaux domestiques dont elles finissent par ne plus pouvoir s’occuper, faute d’argent. Il n’y a chez elles aucune intention de nuire. Elles sont attachées à leurs bêtes, mais dépassées par la situation et dans un déni massif face à leur incapacité d’en prendre soin.
Entassés dans le logement
Selon Julien Elowe, médecin-chef de service au département de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), il existe un fort apparentement avec le syndrome de Diogène. Ce trouble se traduit par l’accumulation compulsive d’objets inutiles, aboutissant à un envahissement de l’espace vital de la personne et à une dégradation de ses conditions d’hygiène. Le syndrome de Noé a été étudié pour la première fois dans les années 1990 par le vétérinaire et épidémiologiste américain Gary Patronek, qui l’a baptisé «animal hoarding» (accumulation d’animaux).
Présidente du refuge SOS Chats, à Meyrin, Valérie Derivaz est régulièrement confrontée à des situations dans lesquelles des chats – en moyenne une quinzaine et jusqu’à 60 dans les cas les plus graves – sont entassés dans un logement sans aucune possibilité de sortir.
«D’après mon expérience, il y a plusieurs types de profil, explique-t-elle. Il peut s’agir de personnes isolées qui ont déjà des difficultés financières à la base. Elles se lancent dans la reproduction et se retrouvent avec des dizaines de chats non stérilisés qu’elles n’ont plus les moyens de nourrir et de soigner. Les lieux sont souvent délabrés et les bêtes en très mauvais état, quand elles ne sont pas en train de mourir. Et puis, il y a des gens qui adoptent des animaux de manière compulsive, mais qui ne sont pas forcément dans la précarité.» Un constat que partage Stéphane Crausaz, responsable de la communication de la SPA vaudoise:
«Je me rappelle d’une femme qui était fondée de pouvoirs dans une banque genevoise et qui vivait avec 60 chats, dont beaucoup étaient morts quand nous sommes intervenus sur demande de la police. Rien à première vue ne permettait d’imaginer une telle chose.» Stéphane Crausaz se souvient aussi d’une dame qui vivait avec 25 chiens dans une petite maison à Pully. «En entrant, on a découvert un chien égorgé par ses congénères.»
Taux de récidive élevé
Selon certaines études consacrées au syndrome de Noé, lorsqu’une intervention est ordonnée par les services vétérinaires, on retrouve des animaux morts dans 80% des cas. Intervenir plus tôt est très difficile, dans la mesure où les associations de protection des animaux ne sont pas autorisées à s’immiscer chez les gens pour s’assurer qu’ils prennent bien soin de leurs petits protégés. De plus, les personnes qui présentent un syndrome de Noé ne se considèrent pas comme malades. D’où un taux de récidive extrêmement élevé – il pourrait aller jusqu’à 100%, selon une recherche française.